[Fic] La Dompteuse de mirages

« Méfie toi Bartiméus, cette fille n’est pas vraiment humaine, elle joue avec les dragons comme on jouerai avec un chat, elle a beau avoir l’apparence fragile de ces êtres inférieurs, méfie toi, conseil d‘amie. »

Pathétique. Non décidément, je ne comprendrais jamais Sun, elle s’inquiète toujours pour rien. Après tout, depuis quand les démons ont-ils peur des humains? N’est ce pas plutôt l’inverse?
Nous avons pris le contrôle de la Terre des Brumes depuis plus de cent ans déjà, après un coup d’état éclatant, dont j’ai ,naturellement, fait parti, et on voudrait me faire croire que ces imbéciles qui n’ont saisi qu’à la dernière minute que des êtres démoniaques prenaient le contrôle, mettraient en danger ce que nous avons construit? Ridicule!
Je vais aller voir cette humaine en question, voir de quoi il retourne, sûrement une prétendue « magicienne », qui fait apparaître des lapins d’un chapeau comme d‘habitude. Ce qui m’inquiète en revanche, c’est cette histoire de dragons, ce n’est peut-être qu’une métaphore mais Sun peut tout aussi bien parler de ces entités magiques ,ma foi, puissantes, sans doute plus que nous, je dois l’avouer, mais disparues depuis longtemps, des millénaires peut-être…

La Terre des Brumes, depuis le temps que je rêvais de me produire là haut! Certes c’est un peu effrayant avec toutes ces tours ,hautes, lugubres, ces grilles de fers rouillées qui ornent les maisons aussi grandes que des châteaux, et ces bâtiments ressemblants tous à des prisons avec leurs barreaux aux fenêtres, mais c’est aussi ce qui fait la différence avec les autres territoires que nous avons parcouru. Là haut tout n’était que fleurs, près, champs et autres, beaucoup d’agriculteurs en somme. Je n’ai jamais compris pourquoi la troupe dont je fais partie ne voulais pas s’y rendre…
Je suis conteuse d’histoires, c‘est vrai, c’est un peu démodé, mais mes histoires ne sont pas ordinaires et elles prennent vie autour de nous. Ce n’est pas vraiment grâce à moi, je ne crois pas…il y a…quelque chose qui s’exprime à travers mes histoires et qui fait découvrir un autre monde aux spectateurs, je ne sais pas quel est le but de cette chose mais il ne me semble pas négatif alors, je continue parce qu’après tout…conteuse c’est mon métier!

Les immenses grilles servant de portes d’entrées à la Terre des Brumes s’ouvrent devant nous ,dans un bruit ressemblant étrangement à un cri, nous offrant peu à peu un paysage peu attrayant, rempli de gens tous plus sombres les uns que les autres et bien vite je sens que ma troupe et moi faisons tache avec nos habits colorés et nos sourires impatients, enfin mon sourire impatient devrais-je dire….Certains regards se posent sur nous, curieux, étonnés, méprisants parfois, j’en ai froid dans le dos.
Je jette un dernier coup d’œil aux longues formes sinueuses des grilles, clairement représentatives de dragons, presque rassurants par rapport à ce qui nous attend avant de suivre la troupe d’un pas prudent.

- « Vous ne vouliez pas venir à cause de l’ambiance? Mais ne vous en faîtes pas, on va réchauffer tout ça! »
- « Tais toi un peu Tai, la Terre des Brumes ne ressemble en rien à ce que tu as connu jusque là… ses dirigeants ne sont pas humains… »
- « Tu exagères Penny, je veux bien qu’ils prennent de très mauvaises décisions, déclarent la guerre à tout va mais je suis sûre qu’ils ne méritent pas ce que tu viens de dire… »
- « Tu ne comprends pas, je veux dire qu’ils ne devraient pas exister, ce sont des êtres fait de magie pure… des démons.. »

Je sens la chose frissonner d’excitation en moi, mais, personellement, l'effroi l'emporte sur l'impatience et l'envie. Démons? Enfin….démons comme êtres venant de l’enfer ,rejoignant parfois la terre pour semer le chaos? Un truc dans ce genre?
La chose doit éprouver le besoin de me rassurer parce qu’une image de loup au pelage noir d’encre se dessine dans mon esprit avant de devenir un être humain ,tout ce qu’il y a de plus normal. Un peu apaisée, je regarde tout de même Erik, le chef de la troupe:

- « A quoi est ce qu’ils ressemblent? »
- « Oh tu ne les verras pas, pour ne pas effrayer les humains, ils se cachent parmi eux. »
- « Tu veux dire… »
- « Ils ressemblent trait pour trait à des humains, mais ils peuvent tout aussi bien être chats ou chiens, crevettes ou courant d’air. »

Je le fixe sans comprendre. J’ai du mal à saisir ce qu’il veut m’expliquer, comment les humains ne se rendent-ils pas compte que l’homme assis à côté d’eux n’en ai pas vraiment un?
La voix joyeuse de Luka, la jongleuse, s’élève derrière moi me sortant de mes pensées.

- « Des métamorphes quoi! »
- « Oh! »
- « Peut-être même que je me marierais avec l’un d’eux sans le savoir! »
- « Hey! »
- « Oh voyons Killian, tu sais bien qu’il n’y a rien que je n’aime plus que toi… à part le luxe peut-être! »

Je sens le rire cristallin de Penny, notre diseuse de bonne aventure, fracasser la nervosité qui me tenaillait et je me sens soulagée. Certes, la Terre des Brumes n’est pas une terre comme les autres mais tant que nous sommes ensembles, rien ne peut nous arriver ,nous sommes en sécurité.

La troupe des Nuages s’est installée à l’orée de la forêt, sans doute pour permettre à leur éclairage de faire meilleur effet. Moi ça me convient très bien, je connais la forêt comme ma poche, c’est un de mes endroits de prédilection, toute la ville est tellement terne et ennuyeuse, c’est peut-être du en partie à notre présence, cela n’empêche que j’ai besoin d’un peu de couleurs dans ce monde noir et blanc.

Lorsque j’arrive, il n’y a guère que quinze à vingt personnes, si Sun s’inquiétait de la mauvaise publicité qu’ils pourraient nous faire, c’est raté. Je dirais qu’il y a environ dix gosses, trois papy et mamy et un reste de parents, blasés, comme moi. Des missions foireuses, je pense que celle ci sera la pire, me faire venir pour une bande de bras cassés c’est vraiment pas glorieux, j’espère que celui qui est responsable de ça est fier de lui.
Cependant, je dois avouer que le décor est assez réussi. Les lanternes donnent un aspect terriblement effrayant dans la noirceur de la forêt et pendant un instant je me demande même si nous ne sommes pas là pour résoudre le meurtre d’une fée ou quelque chose s’en approchant.
La soirée passe, la nuit est déjà là depuis un bon moment et les numéros se suivent: un avaleur de lames (manquerai plus qu’il tombe et on aurait une brochette), une diseuse de bonne aventure qui n’avait apparemment pas prévu que le grand père dont elle allait prédire la destinée n’allait pas apprécier le fait de voir sa mort en face (ouh le méchant coup de canne), un cracheur de flammes qui a failli incendier la forêt (et un pyromane, un !), une jongleuse aux allures de danseuse de french cancan (joli bas mademoiselle), deux clowns qui ont fait hurler de rire les enfants (hurler c’est le cas de le dire, qui pensait que le petit à lunettes aller se prendre la tarte? Pas moi en tout cas), un vrai fiasco en réalité… Mais je suppose que pour les humains présents s’était amusant…mais ce n’est qu’une supposition et j’en viens même à me demander pourquoi je suis venu et penser à me lever pour partir. Mais j’ai une mission à accomplir et ,bien que je doute que le prédateur que redoute Sun se trouve ici, je me dois de voir le dernier numéro.
Qu’a dit le présentateur déjà? Ah oui une conteuse d’histoires, eh bien, j’espère au moins que la princesse au grand cœur se fera dévorer par le loup à la fin …

Le silence se fait et les lumières s’éteignent une à une pour ne laisser place qu’à deux faisceaux orangés de chaque côté de l’estrade. La première chose que je remarque, c’est la jeune fille assise sur le bord de cette même estrade. De longs cheveux chocolats encadrent son visage d’une pâleur étrange, renforcée par l’éclat de ses yeux, vairons, un turquoise, un brun, le tout souligné par des lèvres roses qui donneraient envie à n’importe quel homme. Une jolie poupée… qui n’est pas seule. Et ça c’est la deuxième chose que je remarque (mais comment ai-je fait pour ne pas le voir avant? Il faut vraiment que j‘arrête de me fondre parmi les humains, ils ont une mauvaise influence sur moi) , une chose affreuse se dresse derrière la conteuse, une masse informe tout d’abord qui devient de plus en plus net tandis qu’elle sent ma présence…un dragon… un magnifique dragon aux couleurs d’or, mais un dragon quand même… La raison me souffle de fuir mais si je ne me fais pas tuer par le dragon, c’est Sun qui le fera, il vaut mieux que je reste là, ne serait ce que pour avoir une mort moins pénible.
La voix de la fille s’élève dans les airs, douce et chaude comme un chocolat chaud en plein hiver et moi ,comme tout le monde d’ailleurs, en suis tout remué, ce genre de voix n’existe pas sur la Terre des Brumes… Une mort douce finalement, j’ai de la chance ça aurait pu être pire… le dragon s’agite et je suis le seul à m’en rendre compte, mais je suis le seul à le voir, nous sommes fait du même métal tout les deux. Mon heure aurait-elle sonnée?
Apparemment non, la forme de la créature se trouble avant de disparaître et je ne tarde pas à connaître la cause de cette soudaine disparition. L’histoire commence.

- « L’histoire que je vais vous raconter ne parle pas de chevaliers servants ,ni d’ogres… mais de sorcières.. Et de loups. »

Avant que j’ai pu comprendre, ma sombre forêt se transforme en une forêt illuminée par le printemps et son Soleil dont la lumière me fait cligner des yeux, des fleurs poussent sous nos pieds et bientôt la forêt que je connaissais est remplacée par une autre ,plus verdoyante… Je ne suis apparemment pas le seul à être victime de cette hallucination puisque les humains s’agitent en poussant des petits cris autour de moi. La conteuse attend patiemment que nous nous remettions de nos émotions et son regard pétillant ne nous lâchent pas. Très vite, les enfants réclament l’histoire, exaltés par ce changement de décor, les adultes sont plus réticents et les vieux croient s’être endormis, pour ma part, je reste méfiant, le dragon rôde toujours dans le coin. Un bruit régulier ,assez léger retient mon attention et mes yeux se posent derrière la jeune fille, celle ci sait ce qui va se passer et un sourire se dessine sur ses lèvres. Le bruit se rapproche et devient plus clair, des pas, ou plutôt des pattes qui effleurent à peine le sol dans leur course folle ,rapidement, nous sommes envahis par une meute de loups qui nous évitent tout en poursuivant leur cavalcade. Je crois d’abord à une illusion, j’ai entendu que certaines personnes étaient très douées pour ça, mais ça n’est pas le cas, je sens encore la douceur du pelage des loups sous mes doigts, la chaleur sous leurs poils lustrés, de vrais loups à la truffe humide et aux muscles saillants. Ils sont au moins une bonne cinquantaine à nous frôler ,nous effleurer avant de continuer leur route comme si nous n’avions jamais été sur leur chemin.
Je me surprends à jeter un coup d’œil par dessus mon épaule pour tenter d’apercevoir leurs silhouettes s’éloignant, ce qui est stupide car une illusion ne rentre pas dans les détails, néanmoins ils sont là, de plus en plus petit au loin dans une forêt sans fin…
Ca devient intéressant… je croise le regard de la conteuse, je lis dans ses yeux un amusement qui ressemble fortement au mien et un sourire naît sur mes lèvres reflet du sien. Elle sait qui je suis par l’intermédiaire du dragon des Mirages ,car c’est son nom , un dragon unique et qu’on a cru mort avec tout les autres, à tort apparemment, et je sais qui elle est ,ça n’a pas été difficile de le deviner.
La Dompteuse de Mirages.

Eh bien, quelle drôle de soirée! Penny a eu disons un petit accident avec un des spectateurs et Kylian a évité de près la catastrophe avec ses torches. Mais je crois que c’est parce qu’ils étaient nerveux mais je n’ai pas tout de suite su pourquoi. Lorsque je me suis avancée sur la scène, tout me paraissait normal puis la chose s’est agitée et sans trop savoir pourquoi mon regard s’est posé sur une personne présente dans le fond. Un homme étrange, environ une vingtaine d’année aux yeux d’un bleu renversant souligné par une pâleur extrême et des cheveux noirs de jais.
Démon.
Ce mot a résonné dans ma tête mais il ne venait pas de moi, il venait de la chose… D’ailleurs…le « démon » avait conscience de la présence de la chose, il la regardait, inquiet d’abord, puis d’un œil intéressé. Je profitai du fait qu’il l’observa pour moi même le détailler. Comment les gens qui nous entouraient ne pouvaient-ils pas remarqué qu’il n’était pas humain? Personne ne pouvait être aussi beau, si négligé et classe à la fois. Il était tout de noir vêtu, quelques mèches de ses cheveux retombaient sur ses épaules. Oui il ne pouvait être que l’objet et outil du diable, il ne pouvait en être autrement, un ange ne pouvait pas être aussi séduisant et tentateur.
Résolue à mener mon numéro à bien malgré sa troublante présence, je commençais mon histoire, bien décidée à lui en mettre plein la vue, peut-être serait-ce la seule soirée où un démon viendrait nous rendre visite, je ne voulais pas rater cette occasion, ma peur avait été remplacée par l’excitation de la chose mais nos objectifs différaient.
D’abord changer de lieu, ensuite faire apparaître les loups… les gens semblaient gagnés par l’impatience de voir ce qui les attendaient mais leurs réactions m’importaient peu, il n’y avait que Lui. Dans ses yeux, de l’étonnement, avant qu’ils ne se mettent à brûler d’une flamme joyeuse qui m’était destinée à moi seulement, personne d’autre. La chose était assez mécontente de ce qui se passait mais cela allait dans le sens de ses plans aussi me fit-elle parvenir une idée. Et quelle idée.
De l’improvisation pur et dure qui me permettrait de lâcher tout le monde dans un suspens terrible qui les obligeraient à revenir demain et peut-être qu’Il viendrait par la même occasion…
Je crois bien que ce fut une de mes meilleures prestation et je ne peux que m’en féliciter même si elle fut motivée par une mauvaise raison. Erik m’a même félicité ,chose qu’il ne fait jamais.

Allongée dans mon lit de camps, je ne peux m’empêcher de réfléchir à la créature qui est venue nous rendre visite ce soir, je n’ai jamais vu un homme pareil, quel charisme, quelle beauté, quelle gaieté dans ses yeux… quelle erreur de ma part!
Me tournant et me retournant, encore et encore, je suis submergée par les remords, je n’aurai pas du le regarder dans les yeux, peut-être que les démons ont une sorte de pouvoir qui leurs permet de faire obéir quiconque croiserait leurs fascinants regards…? Une sorte de ululement lugubre et régulier me fait frémir et je regarde autour de moi à la recherche d’un animal qui aurait pu en être la source avant de comprendre. La chose rit de moi.

Quelle humaine étrange…moi qui pensais avoir fait le tour des classes d’humains possibles, je me trompais. Cette fille ne rentre dans aucun des critères que je connais. Il est évident que l’histoire de ce soir m’était destinée. La conteuse ne cessait de m’observer, s’occupant peu des spectateurs de son espèce. Serait-elle suicidaire? A moins que ce ne soit le dragon qui lui souffle de me mettre en confiance pour pouvoir mieux me tuer? Je ne sais pas trop mais sa conduite me laisse perplexe.
Ce fut néanmoins un bon moment , la conteuse et moi nous regardant dans les yeux sans prendre conscience du monde qui nous entourait et qu’elle créait au fur et à mesure de ses paroles. Peut-être devrais-je revenir demain pour « savoir la suite », plus motivé par la présence de cette étrange humaine que par l’histoire en elle même. Il suffirait que je demande à Sun de pouvoir m’occuper de ramener la fille dans nos rangs, ainsi j’aurai une excuse toute faite, par pour les autres démons…pour moi même surtout, je me sentirais pathétique en allant voir la troupe des Nuages pour voir une humaine… Quelle idée ridicule! Même moi cette idée pitoyable me fait éclater de rire.
Peut-être devrais je créer une nouvelle classe pour cette fille, les « humains à dragons », par très original j’avoue mais je ne vois pas comment la décrire autrement. Cette fille est spéciale, et sa mort n’en sera que plus délicieuse. J’imagine déjà ses yeux où se lirait la torture de me voir, moi ,la tuer ,le sourire aux lèvres.
Bizarrement, je me sens vaguement écoeuré par cette idée… l’humaine détint sur moi! Voilà que j’ai des réactions étranges à mon tour! Flûte alors, on aurait pu me dire que je n’étais pas étanche aux conteuses !